Un document concernant une plainte déposée par l’économe de l’abbaye de Saint-Honorat donne quelques précisions sur la propriété des moulins de Cannes et sur les privilèges en découlant :
Se trouvant aujourd’hui seigneur de Cannes du fait de la commende, l’abbaye en cette qualité, est maître des fours et moulins du même lieu. Après le concordat passé entre le Pape Léon X et le Roi François premier, la commende ayant été établie, les biens du monastère ont été partagés entre l’abbé régulier et l’abbé commendataire, le lieu de Cannes et domaines en répondant revinrent à ce dernier.
Toutefois, il fut stipulé clairement aux abbés réguliers et aux religieux le privilège de moudre leurs grains aux moulins de Cannes tant que bon leur semblera, avec franchise du droit de mouture, et avec préférence sur tous les habitants du lieu, desquels droits, le sieur économe a toujours joui sans trouble.
Les anciens plans nous apportent des renseignements sur leur situation. Aujourd’hui, une transposition grâce à Google-Map nous permet de situer la zone. Au sol, des portions restantes des canaux d’alimentation en eau des moulins confirment notre analyse.
Les documents font état de plusieurs bâtiments dont deux apparaissent en rouge sur le plan ci-dessus.
- moulin à farine (réservé aux habitants de Cannes)
- moulin à farine (réservé aux habitants de Mougins)
- moulin à farine (pour les étrangers-moulin de la Trappe)
- scierie
Lieu de rencontre, les moulins constituent l’un des endroits privilégiés où l’on discute et où l’on règle des différends de toute nature
En attendant leur tour pour convertir leur blé en farine, selon l’animosité ou la cordialité des personnes présentes, des discussions s’engagent. Accord ou désaccord plus ou moins exprimés clairement peuvent apparaître. Une expression du visage, une réflexion ou une observation, mal interprétée, suffit à déclencher commentaires puis altercations.
Ressentiment, jalousie, haine, mépris, rancœur, révolte suffisent pour déchaîner les passions des belligérants. La source du conflit provient souvent de la mauvaise volonté de l’un des acteurs, interprétant de façon douteuse ses droits. Parfois, la loi du plus fort permet d’affirmer ses prétentions.
Menaces, reproches, injures, excès, outrages, se libèrent accentuant les tensions entre les participants, d’autant que l’origine des querelles est ancienne et que les adversaires en viennent aux mains. Ces bagarres basées sur la force physique des rivaux s’accrochant au corps de l’adversaire, ponctuées de coups de poings, coup de pieds, soufflets, égratignures, vêtements déchirés... ; ou avec utilisation d’objets extérieurs, armes, pierres, bâtons, ustensiles domestiques... se terminent en général par de nombreuses blessures, desquelles coule un sang « abondant ». Rarement mortelles, les individus sont souvent alités avec fièvre ou incapacité physique.
Lorsque le suppliant fait informer, suivant la gravité des blessures, un chirurgien est nommé pour en faire un rapport, les témoins sont convoqués pour décrire ce qu’ils ont vu. Le juge, en fonction des éléments apportés rend son jugement. Parmi les documents d’archives disponibles, on trouve très peu de décisions de jugement.
Droits de mouture
Le rentier du moulin prélève un droit sur chaque charge de blé devant être convertie en farine. Ces grains entreposés revendus à la population non paysanne permet de récupérer le montant du sous-affermage. Dès qu’un habitant amène au moulin ses charges de grains, il est tenu de faire peser ses sacs, ce qui permet au rentier d’établir la quantité de droit à prélever.
Une exception concerne les particuliers dépendant de l’Abbaye de Lérins. Par l’intermédiaire de la commende, celle-ci, en sa qualité de maître des moulins, a obtenu le privilège de moudre ses grains aux moulins de Cannes avec franchise du droit de mouture.
Une autre exception concerne le moulin dit de « la Trappe ». Réservé aux étrangers habitants hors de Cannes et de Mougins, les droits prélevés sont doublés par le rentier.
Parfois le droit prélevé fait l’objet de plaintes, un grand nombre d’habitants ayant surpris des enlèvements abusifs.
Types de conflits intervenant aux moulins
Ordre de passage
Les opérations de mouture s’effectuent normalement selon l’ordre d’arrivée des individus au moulin, sachant que chaque bâtiment accueille trois catégories de personnes :
- moulin à farine de Cannes : réservé aux habitants de Cannes.
- moulin à farine de Mougins : réservé aux habitants de Mougins.
- moulin à farine de la Trappe : réservé aux étrangers (Vallauris…)
cas particuliers :
Une exception concerne les particuliers dépendant de l’Abbaye de Lérins. Par l’intermédiaire de la commende, celle-ci, en sa qualité de maître des moulins, a obtenu le privilège de moudre ses grains aux moulins de Cannes avec préférence sur tous les habitants du lieu.
Jeanne Arluc, femme de Honoré Couteau, ménager, sous-fermier des terres de l’Abbaye pensait être prête à temps pour cuire le pain, suite à son privilège de sous-fermière de l’abbaye, lui donnant priorité sur les autre particuliers arrivés au moulin.
Par ailleurs, lorsqu’il n’y a personne dans un moulin, un nouvel arrivant de quelque commune que ce soit peut l’utiliser.
Antoine Raybaud ayant trouvé le moulin de Mougins sans personne, il y porta un sac de son blé.
Cet ordre de passage fait parfois l’objet de contestations.
Après avoir moulu ses charges de blé, Chauvet à qui on en avait livré d’autres, mais arrivées derrière celles de Benoîte Roustan, prétendit continuer à moudre.
La loi du plus fort permet d’affirmer ses prétentions.
Chauvet, venant d’arriver et entrant dans le moulin avec son blé, un sac sur l’épaule, jeta son blé dans l’entrennaille et prit celui de Benoîte Roustan, qu’il jeta par terre.
Parfois des passe-droits perturbent l’ordre de passage des habitants tout cela parce que Raphel ... et ses valets, meuniers, voulaient faire passer une femme de la Napoule qui venait d’arriver, mais qui avait acheté du blé à Raphel ... au préjudice des habitants de ce lieu qui sont préférés à tous étrangers.
Les nommés Michel et Barthélémy ..., frères, meuniers des moulins, voulant user de complaisance pour la nommée Giraud du lieu de Mougins
Un vent de révolte souffle de temps en temps contre les privilèges.
Jean Joseph Riouffe, bourgeois de Cannes, trouva bon de prendre la défense d’un particulier du Cannet, en lui disant de continuer et que si lui était à sa place, il le ferait. Sur quoi, Bertrand, valet de l’Abbaye, lui représenta que ses maîtres avaient la préférence sur toute sorte d’habitant pour moudre leurs grains.
Animosité antérieure
La jalousie, à l’origine de nombreuses querelles, exacerbée à l’occasion d’une rencontre, déclenche injures, puis violences. Crachant leur venin sous forme d'injures, les parties en viennent rapidement aux brutalités.
Coups de poings, coups de pieds, soufflets, égratignures, morsures, forment les défenses naturelles des agresseurs. Ceux-ci peuvent se servir de moyens renforçant leur combativité : pierre, bâton, outil, armes blanches, armes à feu, etc.
Tirer, traîner, pousser, culbuter, frapper, cogner, poursuivre, engendrent la turbulence des mouvements lors des conflits.
Les cheveux, têtes, visages, lèvres, yeux, doigts, corps, estomacs, membres, encaissent les coups. Le sang s'écoule.
Les vêtements subissent les dommages annexes des bagarres, les rendant inutilisables ou difficilement réparables.